Derrière ce titre parodique se cache à peine la modeste intention de dévoiler certaines techniques d’approche utilisées en chasse de tête, dont on parle peu (pour ne pas dire jamais) publiquement.

Beaucoup disent “faire de la chasse de tête” quand leur rôle consiste simple­ment à appe­ler un candi­dat poten­tiel dont ils ont le nom et le n° de télé­phone. “C’est un peu court, jeune homme !” pour­rions-nous dire, tant cela n’est qu’une partie infime du travail (de l’art) du chas­seur de tête.

Cet article est consa­cré à mon expé­rience person­nelle de Consultant en Recrutement avec des pres­ta­tions axées prin­ci­pa­le­ment sur l’ap­proche directe, c’est à dire la chasse de tête. On verra que cette “approche directe” utilise en fait beau­coup de méthodes d’ap­proche très indirectes.

Définir la cible

L’étude du besoin, de la demande, est iden­tique à tout recru­te­ment et se fait en étroite colla­bo­ra­tion avec le client : défi­ni­tion du profil de poste, infor­ma­tions sur l’en­tre­prise, ses méthodes de travail, ses outils, ses moyens, ses valeurs, ses objec­tifs, etc.

Là où cette étude est moins clas­sique, c’est que nous allons déter­mi­ner des cibles qui feront l’ob­jet de la recherche et de l’ap­proche par chasse de tête :

  • déter­mi­na­tion du candi­dat type, qui découle de l’étude précédente,
  • déter­mi­na­tion des entre­prises concur­rentes, en fonc­tion de la demande,
  • déter­mi­na­tion des entre­prises ayant des process ou des méthodes comparables.

Évidemment, parfois notre client donnera très direc­te­ment les noms des entre­prises et des personnes à appro­cher. Toutefois, nous devons explo­rer toutes les voies permet­tant de trou­ver des candi­dats inté­res­sants. La déter­mi­na­tion des entre­prises ayant des process ou des méthodes compa­rables (ou proches) permet­tra d’élar­gir la cible en sortant du domaine d’ac­ti­vité de notre client. Par exemple, un Chef de Fabrication venant du secteur Automobile peut-il inté­res­ser une entre­prise du secteur des Industries Graphiques ? C’est là que notre rôle de Conseil pren­dra toute son importance.

Discrétion exigée !

Lorsqu’une entre­prise mandate une société de recru­te­ment pour débau­cher des colla­bo­ra­teurs d’en­tre­prises concur­rentes, elle ne veut pas s’ex­po­ser à un “retour de mani­velle” de la part de ses concur­rents. D’autant plus si ceux-ci font partie de la même fédé­ra­tion profes­sion­nelle, et qu’ils peuvent avoir des inté­rêts en commun ou des affinités.

La discré­tion est primor­diale dans la profes­sion de chas­seur de tête :

  • pour son client, qui ne veut pas se mettre à dos les entre­prises de sa corporation,
  • pour soi-même et son entre­prise, afin d’évi­ter les foudres de nos victimes,
  • pour la personne que l’on approche, afin de ne pas la compromettre.

De cet impé­ra­tif découlent les conseils suivants. Cette discré­tion est abso­lue, elle est le Saint-Graal de notre profes­sion. Elle est souvent syno­nyme de dissimulation.

N’hésitez-pas à vous travestir

Vous n’êtes pas : “M. Le Chasseur du cabi­net de recru­te­ment Head Hunter”.

Il est d’usage d’uti­li­ser un pseu­do­nyme, voire plusieurs, dans son acti­vité. Dans le cabi­net de recru­te­ment où je travaillais il y avait M. l’Anglais, M. l’Allemand, M. Petit, M. Legrand… La secré­taire avait du mal au début à faire la corres­pon­dance avec l’iden­tité réelle de chacun, mais avec une bonne orga­ni­sa­tion et de l’ha­bi­tude, cela deve­nait plutôt amusant.

Votre carte de visite n’in­di­quera pas davan­tage que vous êtes chas­seur de tête, ni même consul­tant en recru­te­ment. Préférez des appel­la­tions géné­riques plus neutres : Ingénieur d’Affaires, Chargé de Relations, etc.

Et pour le nom de votre entre­prise, il peut être utile d’en inven­ter un tempo­rai­re­ment lors de la phase d’ap­proche ou d’avoir une double appel­la­tion corres­pon­dant à diffé­rentes acti­vi­tés. Si votre société est inscrite sous le code APE 741G, rien ne vous empêche d’avoir une acti­vité d’au­dit ou de commu­ni­ca­tion, ou en tout cas de vous présen­ter comme tel en trichant un peu. Cela peut aussi vous inci­ter à diver­si­fier vos pres­ta­tions ou à cher­cher des partenariats.

L’art de la dissimulation

Si besoin, chan­gez votre voix pour l’ap­proche du candi­dat en fonc­tion de l’iden­tité que vous adop­tez. Par exemple : M. Legrand aura une voix grave, M. Petit une voix un peu plus nasillarde, mais ce seront deux de vos iden­ti­tés. Il m’est arrivé de me présen­ter sous l’iden­tité de l’un et de prendre un rendez-vous effec­tué par l’autre, de façon à conser­ver ce double anonymat.

Vous pouvez aussi deman­der à votre assis­tante ou à un collègue d’ap­pe­ler les candi­dats poten­tiels dont vous aurez trouvé les noms. Cela n’empêche pas de dévoi­ler au final le stra­ta­gème au candi­dat que vous rencon­tre­rez, en lui expli­quant que c’est par discré­tion, pour ne pas nuire à son acti­vité et à la vôtre.

Utilisez l’approche indirecte

Si vous en êtes à vous annon­cer comme un offreur d’op­por­tu­nité, utili­sez toujours une formule indi­recte dans votre approche. Exemple : “Je repré­sente une société leader sur le marché du carton­nage. Nous avons un poste de Responsable des Ventes sur la région PACA à pour­voir. Connaissez-vous une personne suscep­tible d’être inté­res­sée par ce type d’op­por­tu­nité ?”. Votre inter­lo­cu­teur vous verra venir s’il n’est pas idiot, et vous dira qu’il est inté­ressé ou vous mettra peut-être en contact avec quel­qu’un d’autre.

Vous tombe­rez sûre­ment un jour sur quel­qu’un qui vous répon­dra : “Oui, je connais quel­qu’un pouvant être inté­ressé, je vais vous le passer”. Et il vous passera le Directeur Général ou le Directeur Commercial qui vous engueu­lera copieu­se­ment ou se moquera genti­ment. Sachez alors retom­ber habi­le­ment sur vos pieds en lui vantant, preuve à l’ap­pui, la qualité des services que vous pouvez lui appor­ter s’il cherche d’ex­cel­lents colla­bo­ra­teurs. Les chances pour en faire un nouveau client sont réelles : testé et approuvé !

Faites tout le contraire des autres

Il vous est forcé­ment déjà arrivé de rece­voir dans votre entre­prise un bus mailing : ces coupons réponse publi­ci­taires auxquels vous vous gardez bien de répondre pour ne pas être harcelé par des commer­ciaux. Faites l’in­verse : répon­dez systé­ma­ti­que­ment en renvoyant tous les coupons réponse de manière à être contacté par des commer­ciaux. Cela fera autant de noms de candi­dats poten­tiels à ajou­ter à votre fichier.

Faites des demandes spon­ta­nées de docu­men­ta­tion en envoyant un fax ou un mail aux four­nis­seurs. Soit vous rece­vrez une brochure compor­tant peut-être des noms inté­res­sants, soit vous serez contacté.

Visitez les sites Internet des entre­prises qui vous inté­ressent. Vous pouvez parfois y trou­ver les noms des personnes à contac­ter, quand ceux-ci ne figurent pas sur les bases de données dispo­nibles dans le commerce.

Abonnez-vous aux réseaux sociaux

Inutile d’en faire la publi­cité, les plus connus sont : LinkedInFacebook… ou encore Twitt‑X. Viadeo était le plus fréquenté des réseaux sociaux pour ce qui est du person­nel fran­çais, mais est tombé en désué­tude. Meetup, Xing, Slack, Medium… en parler en détail néces­si­te­rait un article complet. Et la barrière entre “réseaux sociaux” et “réseaux idiots” est souvent mince tant la pollu­tion des fake news et du complo­tisme est omniprésente.

Ces réseaux sociaux ne doivent cepen­dant pas consti­tuer votre unique mode d’ap­proche : les candi­dats qui font le mieux leur publi­cité ne sont pas néces­sai­re­ment ceux qui disposent des quali­tés requises. Et certains des meilleurs candi­dats ne les utilisent pas ou très peu préfé­rant d’autres moyens et réseaux relationnels.

Les réseaux sociaux ne se limitent évidem­ment pas au Web. Les cabi­nets de chasse de tête disposent de bases de données profes­sion­nelles, des annuaires d’an­ciens élèves des prin­ci­pales écoles d’Ingénieurs, des listes des asso­cia­tions et fédé­ra­tions profes­sion­nelles, etc. Transmettez-leur régu­liè­re­ment vos meilleures oppor­tu­ni­tés de poste. Ce sera valo­ri­sant pour eux comme pour vous. Tout cela prend du temps mais est payant sur le long terme. Cette assi­duité rela­tion­nelle fait votre force, elle vous permet de construire et d’en­tre­te­nir votre réseau.

Fréquentez les salons

Les salons profes­sion­nels sont une excel­lente source d’in­for­ma­tions et de contacts. Ils permet­tront de garder à jour vos connais­sances tech­niques et votre fichier rela­tion­nel. Présentez-vous sur les stands comme un client ou un four­nis­seur poten­tiel. Les salons four­millent de commer­ciaux et de profes­sion­nels en tous genres. Prenez le maxi­mum de cartes de visite. Remplissez le maxi­mum de fiches de contact.

Une approche clas­sique mais osée consiste à se présen­ter sur un stand en se faisant passer pour un candi­dat ou pour un client poten­tiel, afin de rentrer en contact avec le respon­sable que l’on souhaite débau­cher. Préparez bien votre jeu d’ac­teur pour ne pas être dévoilé.

N’oubliez pas de vous mettre en contact avec le Commissaire du Salon pour négo­cier un espace où vous pour­rez affi­cher vos meilleures oppor­tu­ni­tés de postes.

Et si vous n’aviez pas le temps de vous rendre à ce salon (on ne peut pas être partout à la fois), ache­tez le cata­logue des expo­sants : il vous sera très utile par la suite, par exemple pour faire “le coup de la carte de visite”, et pour trou­ver les noms de certains responsables.

Le coup de la carte de visite

C’est une astuce qui peut s’ap­pli­quer après une visite de salon profes­sion­nel. Ce n’est que l’une des multiples astuces, l’un des nombreux subter­fuges dont vous userez pour connaître les candi­dats poten­tiels des socié­tés ciblées.

Appelez le stan­dard de l’en­tre­prise en vous présen­tant par exemple comme un client poten­tiel. Indiquez à la stan­dar­diste que l’un de leurs commer­ciaux vous a laissé sa carte de visite mais que vous l’avez perdue. Bien sûr, vous ne vous souve­nez plus très bien du nom de ce commer­cial (Monsieur…), et la char­mante stan­dar­diste va vous aider en vous citant l’un après l’autre les noms des commer­ciaux de l’en­tre­prise. Bien sûr, vous note­rez soigneu­se­ment chacun de ces noms. Vous contac­te­rez plus tard ces personnes ou vous les ferez appe­ler par un(e) assistant(e) avant de les prendre au téléphone.

Au final, indi­quez-lui que (cela vous revient soudai­ne­ment) c’était une femme. Et s’il n’y a pas de femme à ce poste, c’est que vous vous êtes trompé d’en­tre­prise ! Passez à la suivante.

Usez de subterfuges

Il est très facile de rentrer en contact avec des commer­ciaux, ce sont des hommes ou des femmes de commu­ni­ca­tion. Mais comment faire pour avoir au télé­phone un chef de fabri­ca­tion ou un respon­sable de produc­tion ? D’autant plus si ce nom ne figure dans aucun annuaire.

Une astuce consiste, par exemple, à se présen­ter comme repré­sen­tant une entre­prise commer­cia­li­sant des logi­ciels de GPAO. Vous tombe­rez sur la stan­dar­diste char­gée de faire barrage, en lui donnant moult détails sur votre logi­ciel. Si elle n’est pas une pro de la GPAO, ce qui est probable, elle vous passera le respon­sable concerné ou au pire vous donnera son nom pour envoyer une brochure. Vous pouvez prétex­ter qu’il n’y a pas encore de brochure car c’est un nouveau logi­ciel en phase de test dont vous aime­riez parler au responsable…

Les commer­ciaux peuvent aussi être une excel­lente source d’in­for­ma­tion par leur réseau rela­tion­nel. Vous avez besoin de recru­ter un chef de fabri­ca­tion en impri­me­rie ? Commencez d’abord par contac­ter ou chas­ser des commer­ciaux en feuilles papier, en complé­tant au passage votre base de données pour ce profil. Demandez-leur si parmi leurs contacts ils ne connaî­traient pas des chefs de fabri­ca­tion suscep­tibles d’être inté­res­sés par de nouvelles oppor­tu­ni­tés. Les commer­ciaux sont souvent flat­tés d’être en rela­tion avec des chas­seurs de tête et se feront une joie d’être “dans vos petits papiers”.

J’ai assisté une fois à une scène impayable où un collègue se faisait passer pour un chef de fabri­ca­tion en impri­me­rie pour entrer en rela­tion avec des vendeurs d’encres. Il allait jusqu’à frap­per du pied sur son bureau métal­lique pour imiter les coups de marteau sur la machine préten­du­ment en panne.

Soyez à l’affût des entreprises qui sombrent

Cela peut sembler cynique, faire passer le chas­seur de tête pour un immonde charo­gnard. Et c’est le cas 👿

Parmi les entre­prises que vous avez ciblées avec votre client, il en est peut-être qui sont en mauvaise santé finan­cière. Peut-être même qu’elles sont à vendre… Demandez à votre client de se présen­ter comme l’un des acqué­reurs poten­tiels, ce qui d’ailleurs peut s’avé­rer une éven­tua­lité réelle. Cela permet­tra à votre client, entre autres infor­ma­tions, d’avoir accès à la liste du personnel.

Libre à vous alors de rendre service à ces personnes mena­cées de licen­cie­ment, en leur propo­sant une oppor­tu­nité dans une autre entre­prise. La cabi­net de recru­te­ment risque toute­fois de se retrou­ver face à son confrère chargé du reclas­se­ment du person­nel de l’en­tre­prise en difficulté.

D’une manière géné­rale, tenez-vous informé de l’ac­tua­lité des entre­prises dans les secteurs qui vous inté­ressent : résul­tats finan­ciers, mouve­ments de capi­taux, cessions de parts…

Usez des mailings ciblés

Toutes les socié­tés de recru­te­ment, même les moins profes­sion­nelles, font usage du mailing pour déve­lop­per ou main­te­nir leur clien­tèle. Les plus grands cabi­nets de recru­te­ment comme les plus modestes (par leur effec­tif) peuvent abreu­ver les entre­prises avec des profils de candi­dats diffu­sés par mail, sans inté­rêt car on les trouve à profu­sion sur Cadres Online, Cadremploi et autres.

Utilisez le mailing de la façon la plus ciblée et la plus person­nelle possible. Déterminez très préci­sé­ment parmi les profils des candi­dats rencon­trés récem­ment ceux qui pour­raient inté­res­ser telle entre­prise. Déterminez très préci­sé­ment au sein de ces entre­prises les déci­sion­naires à qui envoyer des profils.

Envoyez ces profils toujours par cour­rier et évidem­ment “en blind”, c’est à dire en enle­vant les infor­ma­tions qui pour­raient permettre de déter­mi­ner qui sont ces candi­dats poten­tiels. Ces personnes sont bien sûr toutes en acti­vité et réel­le­ment en recherche d’op­por­tu­nité. Mettez en valeur leurs compé­tences et leurs résul­tats chif­frés pour être convain­cant. Proposez vos services pour les rencon­trer ou trou­ver d’autres profils comparables.

L’utilisation de mailing perti­nem­ment et préci­sé­ment ciblé est très effi­cace pour géné­rer des contacts et faire passer un client du stade poten­tiel à effectif.

En conclusion

Ici s’achève un aperçu des tech­niques utili­sées en matière de chasse de tête. Tout ne vous semblera pas forcé­ment très moral, les méthodes utili­sées peuvent paraître pour certaines quelque peu cava­lières. C’est ce qui fait la diffi­culté de cette approche.

N’hésitez à nous faire parta­ger votre expé­rience, heureuse ou malheu­reuse, dans ce domaine. Êtes-vous chas­seur ou chassé ? Avez-vous déjà utilisé l’une de ces tech­niques ? Lesquelles pouvez-vous recommander ?

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