Parmi ses activités, le Centre Culturel Tjibaou a pour mission de collecter, en langue vernaculaire, les témoignages oraux de l’histoire kanak afin de les préserver et de les publier. Ce travail de collecte auquel s’attache Emmanuel Kasarhérou, Directeur culturel du CCT, consiste en particulier à reconstituer l’intégrale des “chants de tempérance” pour les diffuser sur CD et les mettre à la disposition des médiathèques.

L’histoire transmise par la tradition orale et le chant

Ces chants de tempé­rances sont à l’origine des adap­ta­tions chan­tées et écrites de la Bible et des légendes intro­duites par les pasteurs angli­cans au XIXe siècle. Ils sont nés sous l’impulsion du pasteur Maurice Leenhardt, créa­teur en 1903 du Centre de forma­tion de Dö Nèvâ, dans la vallée de Houaïlou, qui s’est atta­ché à lutter contre l’al­coo­lisme qui rava­geait le peuple kanak. On peut y voir une analo­gie avec la société de tempé­rance de le Croix Bleue fondée à Genève en 1877 par le pasteur Louis-Lucien Rochat, afin de lutter contre les dangers d’une redou­table augmen­ta­tion de la consom­ma­tion d’al­cool en Suisse.

Leenhardt a décidé de traduire les textes bibliques du Nouveau Testament en langue houaï­lou, avec l’aide de ses étudiants et des pasteurs loyal­tiens. Ceci afin de permettre leur compré­hen­sion et leur diffu­sion en les expri­mant notam­ment à travers le chant avec les rythmes musi­caux locaux.

Au fil du temps, à ces chants d’inspiration biblique vont s’ajouter des chants inspi­rés de thèmes profanes. Petit à petit, les chants de tempé­rance sortent des temples pour être popu­la­ri­sés dans les fêtes : ils évoquent alors la guerre de 14–18, le travail, la pros­pec­tion minière, les inci­dents et les drames marquants de l’époque. Ainsi, ils parlent de l’histoire du jeune homme de Maré disparu dans la rivière minière, ou de l’épidémie de rougeole qui décima nombre de méla­né­siens avant les années 60. Ils racontent le grand cyclone de 1932, la vote pour la liberté en 1958, les jeux du Pacifique de 1966, la dispa­ri­tion de la Rosalie…

Une collecte d’environ 260 chants de tempérance depuis 1990

Depuis une quin­zaine d’années, près de 260 chants de tempé­rance ont été collec­tés et trans­crits de façon écrite, en langue a’jië, sous l’égide de la Fédération de l’Enseignement Libre Protestant (FELP). Ils ont été compul­sés dans un livre, clas­sés par thèmes, avec la date de créa­tion et le nom de l’auteur. Beaucoup de ces chants tournent autour des serments de ne plus boire, ce qu’on appelle commu­né­ment les « Taperas ». Les autres thèmes concernent prin­ci­pa­le­ment les céré­mo­nies reli­gieuses, les mariages, les « fêtes de méi », les rencontres entre tribus de diffé­rentes paroisses, les chants d’accueil et de départ. Les chants sur des thèmes profane consti­tuent une autre catégorie.

Ce travail de préser­va­tion du patri­moine cultu­rel, effec­tué avec la colla­bo­ra­tion de la FELP, a donné lieu en 2002/2003 a un enre­gis­tre­ment systé­ma­tique de ces chants, inter­pré­tés par la chorale de Houaïlou qui compte 20 personnes. Au total, 15 disques ont été consti­tués qui sont en écoute libre à la média­thèque. Tiré de ces 15 disques, un CD sorti fin 2004 a été fait, compi­lant 18 titres, des chants liés à l’église mais aussi à la vie quoti­dienne, aux coutumes. Ce CD est diffusé à travers le Compact Megastore, en brousse comme à Nouméa.

L’objectif de ce CD est tout d’abord de four­nir un recueil de base, pratique à utili­ser pour tous ceux qui sont amenés à inter­pré­ter ces chants de tempé­rance. Il s’adresse d’une manière plus géné­rale à tout ceux qui peuvent être inté­res­sés par ce qui est à la fois un témoi­gnage histo­rique et une forme d’expression poétique, une litté­ra­ture orale qui existe depuis plus de cent ans.

Emmanuel Kasarhérou souhaite pouvoir pour­suivre cette mission de préser­va­tion du patri­moine : « Nous devons conti­nuer ce travail de collecte y compris dans d’autres langues à Ouvéa, à Maré où il existe bien plus de 200 chants de tempé­rance. Ces chants montrent un aspect de la créa­ti­vité du terri­toire et des îles. Je tiens par ailleurs à remer­cier Jean Euritein, ensei­gnant au collège de Dö Nèvâ, sans qui ce travail n’aurait pas été possible ».

Fabien Perez © Entretien réalisé en Mars 2005 pour le maga­zine Compact News

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